vendredi 14 février 2014

St Valentin ...Un livre enfin!

"Le Paradoxe amoureux", de Pascal Bruckner : Pascal Bruckner revient à ses premières amours

Jeunes et brillants philosophes, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner avaient 28 ans tous les deux, en 1977, quand ils ont publié ensemble Le Nouveau Désordre amoureux (Seuil, Points). Puis chacun a suivi sa route. Le premier est devenu un philosophe en vue, médiatique, engagé et souvent contesté. Le second s'est partagé entre des essais et des romans, qui lui ont valu un prix Médicis pour La Tentation de l'innocence (Grasset, 1995) et le Renaudot pour Les Voleurs de beauté (Grasset, 1997).
Aujourd'hui, bien que partageant nombre d'idées, ils n'auraient pas pu écrire ensemble un livre sur l'amour. "Alain Finkielkraut est plus pessimiste que moi", explique Pascal Bruckner, qui signe donc seul Le Paradoxe amoureux. Ce thème l'occupe depuis des années. Il aurait pu en faire un roman de plus, mais la forme de l'essai s'est imposée naturellement : "C'est un genre qui permet de dire "je" par moments, sans embarrasser le lecteur. Dans "essai", il y a l'idée d'expérience : on teste ses idées, sans se poser en autorité inébranlable. Je suis présent dans tous les chapitres de ce livre, j'y ai mis en scène mon propre désordre. Toutes les incohérences que je décris, je les ai vécues. C'est une sorte d'autobiographie intellectuelle, qui m'a obligé à me mettre d'abord au clair avec moi-même."
Pascal Bruckner travaille en bon écolier, sur des cahiers où figurent aussi des dessins. Il a conservé tous ses cours d'étudiant, ceux de Barthes en particulier. "Je prends beaucoup de notes, précise-t-il, au fur et à mesure de mes lectures et de mes réflexions. Les bonnes idées n'arrivent qu'une fois. Si on ne les consigne pas assez vite, on les perd. Contrairement à Alain Finkielkraut, je travaille à l'obésité : dans ses premières moutures, ce livre était énorme. Je n'ai cessé de le réduire, comme un court-bouillon."
Beaucoup de choses ont changé depuis la parution du Nouveau Désordre amoureux, qui s'intéressait essentiellement à la révolution sexuelle. D'abord... Pascal Bruckner a vieilli. Marié à 20 ans, divorcé à 22 , il a appris à faire la part des choses et a découvert la complexité du sentiment amoureux. L'amour, écrit-il, "demeure cette part de l'existence que nous ne maîtrisons pas, rétive aux embrigadements, réfractaire aux idéologies. Il reste impur, fait d'or et de boue, un enchantement ambigu. Gommez l'ambiguïté, vous tuez l'enchantement".
Les années 1960-70 lui laissent le souvenir "d'une immense générosité mêlée de candeur et de sottise abyssale". La jouissance était devenue obligatoire, un terrorisme de l'orgasme avait pris la place des anciens interdits. Or, on assiste aujourd'hui au triomphe du sentiment. Coeur et corps se sont en quelque sorte réconciliés. Pascal Bruckner se permet même une formulation audacieuse qui ne lui sera pas pardonnée : "Sous le string de la pétasse, il y a toujours un coeur qui bat."
Plus sérieusement, et plus joliment, il remarque : "Tomber amoureux, c'est rendre du relief aux choses, s'incarner dans l'épaisseur du monde." La société actuelle dans son ensemble est "hypersentimentale", mettant l'amour à toutes les sauces, s'imaginant même pouvoir devenir "une société de frères et d'amants".
Finalement, nous dit Pascal Bruckner, personne n'a gagné : ni ceux qui prétendaient libérer le désir sexuel, ni les défenseurs des bonnes moeurs qui escomptaient nous ramener au statu quo ante. Si la volonté de faire table rase a échoué, les plus rétrogrades ont été affectés, eux aussi, par le changement. Chacun de nous réunit les expériences de toutes les époques : du libertinage du XVIIIe siècle à la révolution sexuelle du XXe, en passant par le romantisme du XIXe. "La nouvelle femme est peut-être l'addition de toutes les figures apparues au cours de l'Histoire : beauté vénéneuse et vierge froide, vamp perverse et mère aimante, midinette et meneuse d'homme..."
Subtil, très riche et provocant à souhait, ce livre est ponctué d'une quinzaine d'encadrés. Il s'agit de courts textes rédigés en plus petits caractères et consacrés chacun à un thème particulier : la pudeur, la scène de ménage, la prostitution... Le procédé figurait déjà dans Le Nouveau Désordre amoureux. Pascal Bruckner l'a repris dans tous ses essais ultérieurs. "C'est le plaisir de la digression", explique-t-il. Plus exactement, "une respiration, une façon de faire un pas de côté, tout en restant dans le sujet".

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